Interview.
Jean Viard.
Sociologue.
La participation des Français pour réformer nos institutions est-elle une opération inédite ?
Sous cette forme, c’est complètement inédit. Il y a partout des assemblées populaires où les gens expriment leur malheur sous forme de témoignages bruts et leurs propositions. La grande difficulté c’est que c’est un peu comme si vous alliez chez le médecin : vous dites où vous avez mal mais nous n’avez pas à expliquer comment il faut vous soigner. Au fond, il y a une dimension principale qui est celle du niveau de vie mais il faut faire attention, les gilets jaunes représentent essentiellement la couche moyenne périurbaine et rurale. Du moins, ceux du début.
Comment expliquez-vous cette crise ?
On sort de 10 ans de crise économique durant laquelle tout le monde a accepté de se serrer la ceinture. À cela s’ajoute le chômage depuis 20 ans mais en même temps, le monde a complètement changé avec l’ère du numérique. La période historique qui se rapproche le plus c’est en 1933, lorsque l’on a montré qu’il y avait plus de gens dans les villes que dans les campagnes. L’accord qui avait été passé avec le monde agricole et les communes reposait sur le fait que la France allait rester une grande nation paysanne. Et en 1933, on s’est aperçu que ce n’était plus vrai. C’est le moment où les campagnes se sont révoltées et ont créé les chemises vertes. Le nouveau monde devient alors plus puissant que l’ancien qui se révolte. Historiquement ce sont les mêmes séquences, sans avoir bien sûr les mêmes idéologies. Depuis 40 ans, notre économie s’est développée sur l’automobile et sur la construction pavillonnaire. Les gens ont quitté la ville pour devenir propriétaires mais en même temps depuis 20 ans, les emplois se concentrent en centre-ville. On a ainsi deux flux énormes qui se croisent. 64% des personnes ne travaillent pas dans la commune où ils habitent et ce taux ne cesse d’augmenter. La révolution numérique est une révolution métropolitaine et ceux qui sont actuellement en lutte, ont quitté la ville en ascension sociale. La nouveauté, c’est que les gens ont accès à ce qu’il se passe en ville grâce à Internet et ils se sentent donc exclus et sans avenir. Le rôle du politique est de dessiner l’horizon des sociétés. Pendant longtemps ce sont les Eglises qui l’ont fait puis la Révolution et l’ascenseur social. Mais aujourd’hui il n’y a plus d’horizon sinon celui du réchauffement climatique. On ne peut pas subir le présent au nom d’un futur espéré. Or, ce qui fait le sens de la vie c’est la succession des générations. Quand Lionel Jospin a créé des emplois jeunes, ce n’était pas forcément une bonne mesure économique mais elle était excellente d’un pont de vue symbolique. Car ce chômage des jeunes touchait aussi les parents et les grands-parents. D’un coup la société a retrouvé l’espérance et donc l’horizon. Il faut remettre de l’espérance dans la jeunesse car c’est elle qui va porter les autres générations.
Ce grand débat est-il une solution ?
Comment éteint-on l’incendie ? Le meilleur moyen, c‘est de créer des contre-feux. Ainsi, comment arrête-t-on le mouvement pour que notamment il ne redémarre pas au printemps ? Le référendum, est un contre-feu. La question de fond est, me semble-t-il, la réorganisation du modèle démocratique pour que les territoires du grand péri-urbain aient leur place. La carte politique ne s’est pas adaptée à nos évolutions. En France il y a 4 territoires : les métropoles, les banlieues, le péri-urbain et le rural. Je pense qu’il faut créer 4 collèges électoraux en établissant la proportionnelle avec 4 groupes de parlementaires pour donner la parole aux groupes sociaux qui se sont exprimés.
Les Français auront-ils un réel pouvoir ?
Beaucoup vont avoir l’impression que non. Il faut résoudre les problèmes un par un : la réorganisation du territoire, aider les plus fragiles comme les femmes isolées… Un grand nombre demande le Référendum d’Initiative Citoyenne, on pourrait inventer des nouvelles formes de démocratie participative numérique.
Paroles de Neuilléens.
La rédaction de Neuilly Journal Indépendant a, ce mois-ci, consacré son micro-trottoir mensuel, au Grand Débat National. Nous sommes donc partis dans la rue, à la rencontre des habitants pour connaître leur point de vue sur la crise qui secoue la France depuis quatre mois.
Parmi les Neuilléens avec qui nous avons dialogué, un sujet revient à l’unanimité, celui de la profession des politiques « devenue un véritable show-business », remarque Gilbert. « Les politiciens se vendent, ils formulent des promesses non tenues ». « Depuis les années 80, les politiques déçoivent les attentes qu’ils avaient légitiment créées. Un espoir déçu, un excès de promesses qui a généré un excès de défiance », analyse Alexandre. Un lien finalement rompu qu’explique Christelle par la désertification de certains parlementaires à l’Assemblée nationale ou au Sénat : « Ils devraient être contrôlés quant à leur fréquentation dans l’hémicycle ». Au-delà de leur assiduité, c’est leur train de vie que leur reproche Danielle : « Il y a trop d’abus ». « Il y a trop de fonctionnaires, trop de parlementaires et trop de dépenses qui n’ont pas lieu d’être », résume Gilbert qui ne croit plus en rien : « Ils écoutent mais font ce qu’ils veulent ». Autre revendication récurrente, celle d’une plus juste contribution à l’impôt, notamment concernant les très hauts revenus et les sociétés : « On peut raisonnablement penser qu’en France on est encore capable de mieux faire », déclare Alexandre et poursuit : « Sans forcément réinstaurer l’ISF qui n’est pas économiquement une solution efficace mais en imaginant des modalités de taxation de distribution de revenus différentes dès l’origine ». Pour Danielle, retraitée, les revendications des gilets jaunes concernant l’impôt ne reflètent pas la réalité : « Je me sent complètement abandonnée. Je fais partie de cette France silencieuse qui a toujours payé ses impôts. Cette vraie classe moyenne en colère qui a toujours été surtaxée et qui est pourtant considérée comme riche ». Concernant le Référendum d’Initiative Citoyenne largement plébiscité dans les manifestations, la plupart des Neuilléens rencontrés y sont favorables mais avec un encadrement strict : « Une idée intéressante à travailler », selon Alexandre ou perçue comme un véritable outil « comme l’avait imaginé le Général de Gaulle », selon Gilbert ou au contraire comme « un alibi pour calmer la fureur », dénonce Martine. S’il y a un sujet qui ne divise pas – mais inquiète – c’est la transition écologique jugée comme étant négligée par les gouvernements.
Le Grand Débat à Neuilly.
Le 13 janvier dernier, Emmanuel Macron lançait, dans une lettre aux Français, l’organisation d’un Grand Débat National basé sur 4 thèmes, à savoir la transition écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté ainsi que l’organisation de l’Etat et les services publics. Dès le 15 janvier, le maire Jean-Christophe Fromantin a mis à disposition des Neuilléens, un cahier et une urne dans le hall de l’Hôtel de Ville pour recueillir les propositions des habitants. Une initiative qui s’est accompagnée d’une plateforme numérique sur le site de la Ville. Enfin, la municipalité a réuni les Neuilléens lors d’une soirée dédiée au grand débat, au 167-Espace de Loisirs, le 18 février dernier. Un rassemblement manifestement apprécié puisque les Neuilléens sont venus nombreux pour exprimer leurs convictions, envoyées dès le 20 février à la préfecture des Hauts-de-Seine.
Le maire Jean-Christophe Fromantin a introduit le débat en expliquant le contexte. Il s’est appuyé sur le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF qui retrace, durant la période 2009-2019, le niveau de confiance accordé par les Français aux acteurs politiques, économiques et sociaux. Sans surprises, les chiffres démontrent une crise sans précédent. Le maire, qui a coordonné le débat en tant que médiateur, a ensuite donné la parole aux Neuilléens.
Parmi les 4 thèmes évoqués, celui de la fiscalité et des dépenses publiques a remporté le plus de ferveur. À l’annonce de certaines idées, des applaudissements se sont ainsi exprimés à l’image notamment d’une contribution plus large des Français à l’impôt sur le revenu ou encore de la prise en compte des aides sociales dans le calcul de l’impôt. Autres solutions soulevées : la juste répartition des dividendes de l’entreprise en fonction du nombre de salariés, la contribution de tous même à l’euro symbolique au niveau social, la transparence des coûts pour les dépenses publiques ou encore le retour à l’ISF. Des propositions concrètes, la plupart du temps illustrées d’exemples personnels, véritable fil rouge de cette soirée. Parmi les autres thèmes : la volonté d’instaurer la proportionnelle pour une meilleure représentativité des Français lors des élections, abaisser le nombre de parlementaires, établir le vote obligatoire, la transparence financière des parlementaires, la lutte contre le pantouflage des hauts fonctionnaires, diminuer le nombre de communes, combattre le millefeuille administratif ou encore garantir les recommandations de la Cour des Comptes. Et même si le thème de la transition écologique n’a pas remporté la même ardeur, les propositions soulevées ont été particulièrement intéressantes avec entre autres, la sensibilisation dès le plus jeune âge, aux enjeux écologiques, la création d’une cause nationale ou d’une journée de solidarité, la mise en valeur des projets bios dans la ville ou encore la création d’une agence locale permettant d’informer les habitants des nombreuses aides. Un débat qui a réussi à rassembler les Neuilléens pour un dialogue résolument constructif.
Chiffres
115 contributions à Neuilly via internet
48 dans les cahiers
20 dans l’urne (chiffres datant du 18 février)