Jean d’Ormesson.

Après avoir combattu la maladie en 2013, Jean d'Ormesson va mieux et profite de son temps pour travailler dans sa maison de Neuilly où il nous a reçus. L'écrivain préféré des Français se confie sur les moments qui ont marqué sa vie et qu'il évoque avec son éternel optimisme.

Guide des égarés, publié aux éditions Gallimard en octobre dernier, traite du temps qui passe, de la vie, de la mort. Quel message avez-vous eu envie de transmettre ?

J’ai trouvé le titre avant même le contenu. Je l’ai emprunté au philosophe juif Maimonide, qui a écrit un livre dont le titre m’a toujours fasciné “Le guide des égarés”. Ce qui m’a rapproché de lui c’est cette notion que nous sommes tous des égarés, nous ne savons pas ce que nous faisons ici. Nous ne savons ni d’où nous venons, ni où nous allons, ni en vérité ce que nous faisons. Tout ce que nous faisons c’est ce que Pascal appelle le divertissement, c’est à dire penser à autre chose qu’à la mort. Moi, je ne fais que croire, j’ai très peu de certitudes. La seule chose que je sais c’est que nous mourrons. Entre la naissance et la mort, il y a la vie et c’est sur elle que j’ai essayé d’écrire. Ce n’est pas un traité de philosophie mais un regard un peu naïf et ironique sur les choses de la vie : l’eau, l’air, la lumière, l’amour avec une question permanente : qu’est-ce que nous faisons là ?

Vous avez été élu en 1973 à l’Académie Française, quel souvenir en gardez-vous ?

Un très beau moment car c’est une grande famille. J’ai été assis pendant des années entre Claude Lévi-Strauss et Jacqueline de Romilly pour qui j’ai eu beaucoup d’admiration et d’affection. J’ai été le plus jeune et aujourd’hui je suis le doyen d’élection.

Le temps passe et demeure un mystère. Dans mes récents romans, j’ai essayé de jeter un pont entre la littérature et la science. Stephen Hawking dans son roman Une brève histoire du temps a une formule formidable “Nous ne savons pas ce qu’est le temps”. Personne ne le sait. Seuls ceux qui ont le pouvoir le dominent.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que vous entriez en avril 2015 dans la prestigieuse collection de la Pléiade ?

On s’est un peu moqué de moi parce que j’étais très content. La Pléiade est une collection où il y a de grands écrivains. C’était pour moi comme recevoir le Nobel. Une sorte de garantie que mes livres seront à la disposition du public après ma mort.

Vous témoignez régulièrement auprès de jeunes dans des lycées, comme à Saint-Dominique par exemple, comment percevez-vous la jeunesse d’aujourd’hui ?

Le seul jugement qui compte, c’est celui du public. J’ai longtemps eu un lectorat âgé, les jeunes me disaient “ma mère vous admire”, puis “ma grand-mère”. Aujourd’hui, les jeunes m’écrivent ou m’interpellent dans la rue pour des selfies. Je suis fier d’avoir rajeuni mes lecteurs. Je le dois à la télévision, à la radio, à des personnalités comme Julien Doré qui s’est fait tatouer mon nom sur son épaule, aux imitations de Laurent Gerra, à la chronique de Fonelle dans Elle. J’aime ce contact avec les jeunes que je trouve fondamental pour un écrivain.

Quel regard portez-vous sur la campagne des élections présidentielles ?

La situation change tous les jours et demeure extraordinairement romanesque. Je suis ami avec plusieurs hommes politiques comme Jean-Luc Mélenchon mais cela ne veut pas dire que je voterai pour lui ! Je crois que la chance de la France c’est l’Europe, encore plus depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump. C’est la raison pour laquelle je ne partage pas les idées du Front National. Concernant l’échec du quinquennat de François Hollande, il me semble que cela élimine de fait, toutes les personnes qui y ont participé. Je me suis très peu prononcé sur la primaire de la droite. Je ne voulais pas choisir car je me doutais que ce système, auquel je ne suis pas très favorable, supposait de soutenir le vainqueur. Je défends les idées de François Fillon qui dispose d’un programme courageux. Je suis persuadé que c’est un honnête homme malgré ses maladresses. J’espère qu’il dominera cette affaire.

Vous habitez Neuilly depuis 40 ans, pourquoi y êtes-vous si fidèle ?

Mon père était diplomate et j’ai donc parcouru le monde. À Neuilly, je suis tellement bien que je n’ai même plus envie de voyager, à l’exception de la Corse bien sûr ! Avant, je partais tous les week-ends à la recherche du soleil. Aujourd’hui je profite de mon jardin que j’apprécie particulièrement entre mars et novembre. Je travaille beaucoup chez moi, dans mon salon ou à l’extérieur car j’ai besoin de calme.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

On m’a beaucoup reproché d’écrire toujours sur les mêmes sujets et de publier à chaque fois mon dernier livre. Je peux vous assurer que Guide des égarés n’est pas mon dernier roman ! Je suis effectivement en train d’écrire, j’ai déjà 300 pages. Il portera sur l’aventure, une sorte de bande-dessinée sans dessins, et paraîtra probablement avant le mois de janvier 2018.