Comment en êtes-vous venu au métier de commissaire-priseur ?
J’habitais Bourges, je connaissais l’histoire de tous ses hôtels particuliers, je m’intéressais à l’architecture, à la décoration, aux antiquités. Mais les études ne me convenaient pas, je n’ai d’ailleurs jamais eu mon baccalauréat. Le droit correspondait à mon esprit organisé, j’ai donc fréquenté l’université avant de découvrir le métier de commissaire-priseur grâce à un stage chez un huissier de justice. C’était en 1968, à Neuilly. Ce fut une révélation.
A 22 ans j’étais diplômé, à 25 ans le plus jeune commissaire-priseur de France. J’ai rattrapé mon retard en trouvant le métier qui me convenait, je m’y suis consacré à 120%. Seule une ou deux charges se vendaient chaque année. J’en ai donc achetée une à Clermont Ferrand où je suis resté vingt ans. Je fouinais partout, travaillant à 400 kilomètres à la ronde. Tous les ans je découvrais un chef d’œuvre, un monotype de Gauguin, un magnifique autoportrait acheté par le Louvre.
Dans les années 1995, j’ai compris que le métier changeait. Jusque-là le commissaire-priseur faisait office de mandarin dans sa ville. Puis les gens se sont mis à vendre leurs tableaux à Paris, raison pour laquelle j’ai décidé de rejoindre la capitale.
Pourquoi avez-vous choisi Neuilly ? Que vous apporte cette ville?
Je pensais à Neuilly ou à Deauville, des villes où l’on trouve à la fois des objets à vendre et des acheteurs. J’ai eu la chance de tomber au bon moment pour racheter l’étude de Maitre Ionesco située au 185 avenue Charles-de-Gaulle. Son énorme avantage : elle faisait partie de Drouot tout en étant autorisée à posséder sa propre salle de vente. C’était idéal pour moi.
Depuis 25 ans Neuilly m’apporte un enracinement clair, net, sans faille. Etre sur l’avenue Charles de Gaulle, dans une ville très en vue, m’aide dans le business. A une époque j’ai même envisagé d’acheter l’immeuble. Neuilly sur Seine ce n’est pas Paris ni le boulevard Saint Germain, ce qui peut parfois manquer à des clients internationaux. Cela ne m’a pas empêché de remporter, face à New York, la vente d’une énorme collection, de 800 objets hawaïens !
Avant nous organisions beaucoup de petites ventes à Neuilly, nous les avons arrêtées. Je sais que les Neuilléens le regrettent mais nos clients avaient du mal à comprendre que l’on vende une petite commode à coté de tableaux de maitres. C’est pourquoi nous organisons exclusivement des grandes ventes sur catalogue avenue Charles de Gaulle, à l’hôtel Arturo Lopez à Neuilly, chez Drouot ou dans notre succursale lyonnaise située dans l’ancienne gare des Brotteaux.
Quels sont vos lieux préférés à Neuilly ?
Pour être efficace j’habite au-dessus du bureau. Tout est regroupé : bureau, habitation, parking, cela simplifie la vie. Je ne me promène pas trop dans Neuilly mais je passe ma vie au restaurant. Je prends mon café du matin à la Grange, je déjeune au Village, je dine chez Thaï, au Mandarin de Neuilly ou chez Jarasse.
Quels sont les qualités essentielles pour exercer le métier de commissaire-priseur?
Etre curieux, aimer les objets et les gens. Il faut parvenir à une harmonie entre le vendeur, l’acheteur et l’objet. Si l’on exerce ce métier par intérêt cela ne marche pas. Il faut avoir envie de s’adapter et ne faire aucune comptabilité sur son temps et sa disponibilité. J’ai repris cette étude en faillite et aujourd’hui nous sommes la 4ème maison de ventes aux enchères en France selon le classement établi par le Conseil des ventes volontaires, l’autorité de régulation des ventes aux enchères.
Vous fêtez cette année vos 70 ans, quel regard portez-vous sur votre carrière ?
Si ma carrière a effectivement été longue j’ai l’impression d’avoir commencé hier. J’aime tellement mon boulot et ma boite…je n’envisage pas de m’arrêter une seconde. L’année dernière le tribunal de commerce et de grande instance m’a nommé dans le plus gros dossier qui existe actuellement sur le marché de l’art, le dossier Aristophil. Cela m’a permis d’embaucher une dizaine de personnes, de louer des locaux, et cela va m’assurer du travail pour six ans.
Racontez-nous cette aventure Aristophil.
Le dossier Aristophil ce sont 18 000 propriétaires, 130 000 œuvres, 25 avocats. Parmi les pièces on compte des lettres de Louis XIV, une heure avant de partir à Varenne, le contrat de mariage de Napoléon et Joséphine, la théorie de la relativité d’Einstein, le manifeste du surréalisme de Breton. Le tribunal de commerce a lancé un appel d’offre tellement compliqué que j’ai été le seul à répondre. Ce qui m’a plu c’est la qualité des œuvres et ces propriétaires victimes, que je rencontre dans les Kyriad et Novotel des grandes villes françaises. Près de cent personnes assistent à chaque réunion, je leur explique comment cela va se passer. Ce dossier, très compliqué, fonctionne car je m’en occupe. Il occupe d’ailleurs 70% de mon temps.
Comment envisagez-vous l’avenir de la Maison Aguttes ?
Deux de mes filles travaillent avec moi, elles sont appelées à reprendre la Maison. Charlotte Reynier, directrice générale de l’entreprise, responsable du département impressionniste et moderne, fait le plus gros chiffre d’affaire de l’étude et de Drouot dans le domaine des tableaux modernes. Philippine Dupré la Tour est à la fois DRH, responsable de la section bijoux et expert en colliers de perles fines, Belperron ou Boivin. Elle accomplit des miracles, elle sait déceler au milieu d’un sac plastique de bijoux ne valant rien une pièce rare valant près de 100 000 euros. Quant à mon associé Hugues de Chabannes, un ingénieur centralien, ultra diplômé, il compense par ses diplômes tous ceux que je n’ai pas !